28.3.08

Aménageurs ou Déménageurs ?

Le week-end dernier, j'étais à Tours pour ma remise des diplômes... (Les photos arrivent rassurez-vous !!!) Une page s'est tournée (une de plus !) mais en faisant du rangement dans mon ordinateur dont le disque dur est en train d'exploser, j'ai retrouvé ce texte écrit en février 2006... Souvenirs d'un évennement mémorable de ma vie d'étudiant !


* * *


L’histoire commence un beau jour de septembre, des étudiants se retrouvaient pour commencer une année de cours dans une école d’aménagement qui allait leur réserver bien des surprises.

Les regards scrutaient les têtes des jeunes gens et jeunes filles qui allaient former notre classe pour trois ans. Certains reconnaissaient des concurrents rencontrés lors du concours estival pour faire partie de cette nouvelle équipe. Tout le monde s’observait, essayait de deviner le caractère de l’autre, jusqu’à ce que le responsable d’année nous invite, enfin, à rentrer. L’appel, très formel pour le premier jour, permit d’essayer de mettre des prénoms sur des personnes. La matinée se déroulait avec ses multiples présentations des cours, des contrôles, des enseignants, de l’organisation de l’année. Notre responsable nous informa donc du planning prévisionnel de notre première année de magistère, laissant une semaine de déménagement prévue juste avant les vacances de Toussaint. Alors que la classe se réjouissait déjà de quelques jours de vacances supplémentaires, la nouvelle tomba.
« Je compte sur vous pour le déménagement. »

L’image des gentils déménageurs investissant le bâtiment, avec grand renfort de diables, chariots, camions, cartons… pour emballer, encartonner, et transporter tout le matériel de l’école s’envolait pour laisser imaginer une poignée d’étudiants essayant de faire ça au mieux.
A ce stade de l’histoire nous commencions à nous demander si nous n’avions pas confondu aménagement et déménagement.
« Ils pourraient le faire eux-mêmes… », « Avec le prix qu’on a payé pour l’inscription, c’est pas normal… », quelques voix s’élevaient pour récriminer contre cette rude exploitation des étudiants mais certains imaginaient déjà la convivialité de ce grand moment pour notre école.

En effet, au delà de ce déménagement, une métamorphose s’enclenchait. L’école, en pleine mutation avec la refonte des formations, quittait ses vieux préfabriqués usés, protégés par les grands arbres du parc Grandmont pour rejoindre la plaine des Deux-Lions, quartier en construction, sans véritable âme. Nous quittions avec appréhension des lieux pleins de mémoire, le site d’origine de l’école, pour habiter un nouvel espace.

Quelques jours avant cette semaine consacrée au déménagement, la direction nous a annoncé que le nouveau bâtiment ne pouvait pas encore nous accueillir. Les travaux n’en finissaient pas, des entreprises ayant déserté le chantier. Nous avons donc poursuivi studieusement nos cours en veillant à éviter les fuites dans les plafonds, les sanitaires en mauvais état, l’insalubrité croissante des locaux…

Après trois reports successifs, dus à l’absence de voie d’accès au bâtiment pour les pompiers, les jours de cette grande migration furent fixés et ne bougèrent plus. L’embauche des étudiants pouvait alors commencer pour préparer la descente du coteau.
Un jeudi après-midi, sous la surveillance appuyée du directeur des études, la ruche se mit à s’activer autour des archives du service des stages. Une fois les armoires ouvertes, nous avons découvert un trésor soigneusement rangé. Une richesse, la mémoire d’une école, le lieu de conservation de tous les rapports des trente-cinq promotions étant passées avant nous.
« Tiens ce nom ne m’est pas inconnu, le rapport de stage du prof de transport ! et là celui d’aménagement foncier ! ». Malgré le temps réduit et l’œil de Cerbère du directeur des études nous ouvrions discrètement une pochette pour constater les progrès de l’informatique depuis les années où nos chers prédécesseurs planchaient sur leurs rapports.
A peine après quelques minutes depuis le top départ, la ruche s’organisait : un groupe préparait les cartons vides, d’autres s’attelaient à les remplir : l’un sur l’échelle, l’autre pour réceptionner la pile de rapports et le dernier pour étiqueter fidèlement le contenu du carton ! Le travail avançait bien et les cartons commençaient à remplir le hall. De quoi satisfaire notre surveillant général (toujours le directeur des études) qui décida de nous offrir un petit goûter avant de rejoindre les cours de la fin d’après-midi.

Quelques semaines plus tard, les étudiants furent conviés à s’attaquer au plus gros morceau, une bibliothèque entière : livres, revues, rapports d’étudiants, journaux… une véritable mine d’informations à mettre en cartons. Un groupe d’étudiants avait en charge une cote et les cartons se remplissaient de plus en plus rapidement. Une grande salle de cours voisine de la bibliothèque se transforma en un immense hangar de stockage. Les cartons d’une même cote étaient rassemblés formant divers empilements, tas, colonnes… Quelques étudiants arrivaient encore à se retrouver parmi ce labyrinthe géant.
Deux demi-journées furent nécessaires pour venir à bout de cette bibliothèque.

Dehors, deux grandes bennes recevaient tout ce que nous ne voulions pas transporter, toutes ces choses que l’on range en disant « ça peut encore servir, au cas ou… ! ». Graduellement de vrais déménageurs, beaux jeunes hommes en plus, intervenaient pour enlever tables, chaises, bureaux et matériel des enseignants et le bâtiment commençait à perdre son âme.

Quand tout fut prêt, un spectacle de désolation prenait place devant nos yeux, placards éventrés, étagères détruites, vieux documents négligemment jetés, pièces vides… Le départ était engagé et ces lieux où nous avions pris nos habitudes commençaient à devenir sinistres, et parfois même, repoussants.

Enfin, le 6 avril arriva.
A 8 heures, une équipe d’étudiants se retrouvait pour la dernière fois sur les marches du bâtiment A et, comme d’habitude, attendait quelques instants, moment où l’on se saluait, demandait des nouvelles de l’autre, tout en, pour certains, terminant de fumer leur cigarette.
Deux minutes plus tard, le premier véhicule de location conduit par un de nos illustres professeurs s’engageait dans l’allée et se mettait en place devant le bâtiment.
Très rapidement, le travail commença : la radio fut allumée, la musique donnait le rythme de l’empilement des cartons sur les chariots. La consigne était d’envoyer les cartons par groupes, par cotes… tout doucement le labyrinthe perdait de l’espace.
Après un peu moins d’une heure, le premier camion partait en direction des Deux-Lions et l’équipe enchaînait, les chariots intensifiaient leurs rotations, les cartons prenaient place dans les camions. Et d’autres départs avaient lieu.
En milieu de matinée, du temps que l’équipe prenait une petite pause café, que ce passait-il aux Deux-Lions ?

Un groupe d’étudiants avait eu pour la première fois accès à cette nouvelle carcasse de béton d’acier et de verre où nous allions bientôt étudier.
Une passerelle tendue entre les deux parties du bâtiment défiait le vertige des jeunes aménageurs qui découvraient d’un peu plus haut le grand jeu de construction de la plaine des Deux-Lions. De part et d’autre du bâtiment, il n’y avait rien, juste de grands terrains vides, en attente de nouvelles constructions.
Après ces premiers constats sur notre nouveau cadre de vie, le groupe s’est scindé en trois équipes qui se sont rapidement mises au travail : une préparait le déjeuner, les autres formaient une chaîne pour monter au premier étage de notre sombre et nouveau bâtiment les cartons que l’équipe de Grandmont avait envoyé. Une équipe par l’escalier Est, l’autre par l’escalier Ouest, les étudiants commençaient à user les marches de leur nouveau lieu de vie.
A Grandmont, la grande salle se vidait, le labyrinthe se disloquait. Les cartons laissaient place au vide.
Aux Deux-Lions, les cartons commençaient à être vidés et les rayonnages encore vierges de la nouvelle bibliothèque se remplissaient petit à petit.
L’équipe de Grandmont, après avoir rempli son dernier camion, rejoignait les Deux-Lions en laissant derrière le passé de l’école.

Au cours d’un repas très convivial, tout le monde reprit des forces bien nécessaires après une telle matinée. La discussion s’amorçait entre étudiants et enseignants, entre étudiants et administratifs… Les limites de la vie habituelle de chacun craquaient et une sympathique ambiance se créait.

L’après-midi commença assez tard, et l’objectif se résumait à vider les cartons et remplir les rayonnages de la bibliothèque. Entre les cartons qui arrivaient pleins, ceux qui sortaient vides, les étudiants qui demandaient l’avis de la bibliothécaire sur le rangement de tel ou tel ouvrage, la bibliothèque avait plus des aspects d’un hall de gare dans un jour de grands départs que d’une salle de travail silencieuse et studieuse.

Vers 18 heures, nous étions proches du miracle : la bibliothèque était presque totalement installée et certains empruntaient déjà de saines lectures pour la période de projet individuel qui commençait.

Après cette rude journée, tout le monde est rentré, bien fatigué, chez soi et je ne me souviens pas d’avoir compté plus de dix moutons avant de sombrer dans un profond sommeil.
Le lendemain, il fallait changer d’habitude, arrêter de monter sur le coteau de Grandmont, et prendre la direction de l’allée Ferdinand de Lesseps.

Beaucoup d’étudiants, fatigués par l’effort mémorable de la veille, avaient choisi la grasse matinée ce 7 avril au matin, mais quelques uns étaient présents pour continuer à remplir les rayonnages. Entre ceux de la bibliothèque à ordonner plus précisément et ceux des archives des stages, la journée fut bien remplie.
Nos collègues informaticiens du DI sont venus nous donner un coup de main pour déménager le matériel informatique qui restait encore stocké à Grandmont.

Au bout de cette deuxième journée de grandes opérations, nous commencions à prendre nos repères dans ces nouveaux bâtiments et à pouvoir y vivre.

La direction nous invita le jeudi soir à un apéritif dînatoire pour nous remercier d’avoir mis la main à la pâte ! Ceux pour qui Morphée avait empêché un réveil matinal nous rejoignirent et la fête fut tout aussi conviviale que les deux jours précédents. Discussions enflammées, critiques du nouveau bâtiment, autocongratulation sur notre habilité au déménagement, projet de création d’entreprises de déménagement… alimentèrent cette rencontre. Le Vouvray coulait à flots jusqu’à épuisement des réserves, le buffet fut apprécié et tout le monde présent était heureux d’avoir donné, dans une bonne ambiance, un coup de main. Nous avions conscience de vivre un événement important pour notre école.

Lorsque les horaires de fermeture normale d’un bâtiment universitaire furent atteints, nous avons poursuivi notre soirée chez l’un des étudiants pour un karaoké mémorable où tout le monde était heureux, sauf peut-être l’hôte de la soirée.

Maintenant nous apprenons à vivre dans ce nouveau bâtiment, dans ce nouveau contexte. Il nous faut nous habituer à la grisaille permanente des couloirs, aux toilettes carrelés couleur pourpre, aux escaliers rappelant l’intérieur d’une tour de château fort…
L’atelier, foyer des étudiants, est encore sans âme, le mobilier déménagé ne s’adapte pas au nouveau cadre et personne ne se sent encore « chez lui » dans ce bâtiment.
Au lieu de perdre son regard dans les bois et d’y observer écureuils, oiseaux… nous observons désormais les Rives du Cher, les oiseaux qui se regroupent dans de vastes formes évolutives dans le ciel, les avions de la base militaire avec les figures qu’ils laissent dans le ciel…

Un an après le début de cette histoire, une nouvelle promo est rentrée dans ce bâtiment, la première promotion d’élèves ingénieurs de l’école, ils découvrent une nouvelle école, ils se regardent, ils se jaugent comme tous les premiers jours de toutes les promos. L’esprit de l’école, ce qui en fait sa richesse, ne pouvait pas être mis en carton, ce sont des attitudes, des moments de vie, des coups de cœur ou des coups de gueule partagés… Il est porté par la transmission des étudiants les plus anciens aux plus jeunes… c’est une façon de vivre. Avons-nous réussi à déménager cet esprit ? Il doit évoluer, s’adapter… Le mettre dans un carton aurait certainement été plus simple : à nous de l’adapter, de le faire évoluer et de le transmettre.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Très bel article. On verserait presque une larme...

Finalement, tu es le (digne) représentant de la dernière génération des CESA.
Très belle conclusion. Pour ma part, même si je n'ai pas eu la chance (?) de connaitre "le batiment A", je suis sur que l'esprit de l'école n'a pas changé. Les profs sont les mêmes, les promos évoluent bien sur, mais l'esprit CESA est là, et bien présent. C'est peut etre ce qui fait la beauté de cette école après tout...

Anonyme a dit…

Sympa cet article Papy... serais-tu un peu nostalgique de toute de cette époque... cela me semble tellement loin maintenant. Par ailleurs, j'attends les photos de la RDD avec impatience.
bises a+

Anonyme a dit…

Signé Nico ;)